À Paris, vous êtes peut-être déjà tombé nez à nez avec l’un des personnages d’Eddie Colla, placardé sur un mur. Des Halles à Bastille, du Marais jusqu’à Stalingrad, les personnages charismatiques métissés d’Eddie Colla interpellent le Parisien pressé. Rencontre avec un artiste qui se pose et nous pose une grande question : dans quelle société vivons-nous ?

Rue des Francs- Bourgeois – Paris Photo : Jemina Boraccino
Ses mains glissent sur le mur à la recherche des défauts qui pourraient le gêner et dès le début, le ton est donné. On sent l’urgence de créer, de peindre, de s’exprimer. Il ne décollera pas de ce mur avant d’avoir terminé. Pas de pose, pas de déjeuner, quelques ralentissements, oui, pour fumer. Nous parlons en travaillant. Rue des Cascades dans le 20èm à Paris, Eddie Colla entame une fresque sur le mur du bistrot Les Mésanges. On lui pose d’emblée la question : qui sont les personnages qu’il s’apprête à peindre ? Sourire amusé « Ce sont deux amies américano-thaïlandaises ».
Eddie Colla a abandonné son métier de photographe de mode et publicitaire en 2005 pour le street art. Il a reçu une reconnaissance internationale en 2008 lorsqu’il a commencé à intégrer des portraits de Barak Obama dans ses œuvres. La jeune femme Hongkongaise, un masque chirurgical sur la bouche, souvent représentée à bicyclette est devenue son leitmotiv et 80% de ses personnages sont d’origine ou métissés asiatiques. Il n’a pourtant aucun lien particulier avec l’Asie. D’accord, quelques voyages là-bas, à Hong Kong et en Thaïlande notamment, mais rien de plus. Alors pourquoi ? Pure question esthétique ? « Mon travail inclut également des Africains et des Caucasiens, bien sûr, mais surtout, je parle d’une vision du futur avec mes personnages, de comment on peut le regarder. L’Asie représente la plus grande partie de la population mondiale, le monde est chaque jour un peu plus petit, les gens circulent et se mélangent. L’avenir est au métissage, en particulier asiatique. La toute-puissance des États-Unis est terminée, on peut penser que la Chine va prendre le relais ».
Il ajoute : « Quand je suis arrivé à San Francisco, ce qui m’a plu, c’est ce mélange de population très diverses, ça avait quelque chose d’unique pour moi car là où j’ai grandi sur la côte est, ce n’est pas du tout le cas. Là-bas, une grande partie de la population est asiatique. Les influences historiques sont très différentes et je reflète cela dans mon art. »
Avec sa cigarette posée au bout des lèvres, son attitude décontractée dans un jean un peu large, on pourrait croire qu’Eddie Colla est un homme léger, insouciant. Il n’en est rien. Au fil de la journée, on voit sa pensée jaillir, l’esprit à la limite de la surchauffe. Regarder vers où l’on va, voilà vers quoi Eddie Colla veut guider le passant.

Eddie Colla Photo : Jemina Boraccino
Et les murs des villes sont pour lui un champ de liberté, une nouvelle agora où l’artiste incite tout à chacun à se poser des questions, sur lui-même, sur l’environnement qui l’entoure. À ouvrir un débat d’idées. Quand on lui demande comment le monde influence son art, la réponse fuse, « La globalisation, l’économie ont énormément changé le monde et en peu de temps. Tout peut s’effondrer en un rien de temps. En 2008, la crise a surpris par sa rapidité. En six semaines les gens avaient tout perdu et cela s’est propagé dans le monde entier. Il y a là quelque chose d’effrayant. Si on ajoute l’environnement technologique et multimédia dans lequel on baigne, on constate qu’on ne fait que se couper les uns des autres. On a l’impression d’une fragilité du monde, d’une hostilité et en même temps, on peut subir beaucoup de choses et rester fort face aux difficultés. On est très capables mais il faut engager le dialogue les uns avec les autres ».

Rue Sainte Croix de la Bretonnerie – Paris Photo Jemina Boraccino
Et lorsqu’on tente de l’interroger sur les tensions communautaires aux États-Unis, l’artiste pose tout à coup son pinceau. Depuis l’élection de Trump, il passe le moins de temps possible chez lui, il ne se reconnaît pas dans cette Amérique là. « Là-bas, tout le monde est mélangé, c’est ça l’identité de l’Amérique. Bien sûr, avant toute chose, il y avait les natifs américains qu’on a massacré mais aujourd’hui, nous sommes un mélange. Asie, Europe, Afrique, Amérique, toutes les cultures se rencontrent et se métissent. Et dans l’Amérique de Trump tu passes pour un révolutionnaire en décrivant une évidence. »
Par Jemina Boraccino