Un article du Washington Post, lu chez le dentiste, m’apprend comment des chercheurs coréens, membres du très sérieux World Institute of Kimchi, basé à Gwangju cherchent à adoucir l’odeur soufrée du kimchi. Le but : séduire un public toujours plus grand de consommateurs aux États-Unis. Ce mélange de chou fermenté, d’ail, de piment et de sauce poisson rebuterait les nez délicats. Le développement de sa consommation mondiale en souffrirait.
Kimchi – Je savais l’aliment tendance, inscrit en bonne place sur la liste de ce qu’il faut consommer pour une vie saine, dans le vent, sur la côte Ouest comme Est. Tapez kimchi dans votre moteur de recherche et vous découvrez immédiatement tous les bienfaits qu’il peut vous apporter. Source de fibres, riche en lactobacilles, vitamines A et B, calcium, fer. Un aliment de choix dorénavant vendu chez Sprout et Trader Joe’s, les chaînes de supermarchés bio américaines. Parmi la centaine de sortes, le baechu kimchi reste le plus populaire. Les ingrédients sont à peu près toujours les mêmes – chou chinois fermenté avec du radis blanc, de la sauce poisson, de l’ail et du piment – et pourtant les goûts diffèrent en fonction des savoirs faire de chacun et de la recette familiale. Une famille – une signature de kimchi.
Un aliment tendance, pourquoi pas ! En tant que Coréen, j’avoue que cet engouement mondial autour de notre plat national me fait plaisir.
D’aussi loin que je me souvienne, je mange du kimchi. J’en ai goûté avant même de savoir parler. Pour les Coréens, il n’y a pas de repas sans. Je le préparais soigneusement dans mon petit studio parisien à mon arrivée en France, il y a quinze ans. A l’époque, le kimchi que je trouvais était beaucoup trop cher pour l’artiste sans argent que j’étais. Ce plat quotidien était devenu un luxe. Il me manquait tellement ! J’ai appris à jouer sur le temps de fermentation, la quantité de sel pour obtenir des saveurs différentes et subtiles. Heureusement, ces temps sont révolus, le kimchi n’est plus une denrée rare à Paris.
Ce matin-là, en lisant l’article du Washington Post, je me suis aussitôt revu enfant, à 4 ans, lorsque ma famille a quitté la Corée pour s’installer aux Etats-Unis. A chaque dîner nous mangions du kimchi. Même lorsque nous allions en pique-nique avec nos voisins coréens, nous en emportions. Enfants, nous buvions du coca-cola avec et c’était franchement mauvais ! La pire association gustative qui puisse exister. Une sorte de choc culturel auquel nous avons fini par nous habituer. La semaine, le kimchi n’était jamais servi au déjeuner. Ma mère pensait que cela donnait mauvaise haleine et nous n’en mangions jamais avant de partir en société, d’aller travailler ou à l’école. Nous voulions nous intégrer et ne pas être mal jugé à cause d’une odeur d’ail et de chou. Tout ceci peut sembler paradoxal car dans le même temps, il y a toujours eu quelque chose de sacré autour du kimchi. Il symbolise le fait d’être coréen, d’appartenir à la famille. Ma mère prône même cette théorie selon laquelle si les coréennes sont si belles, c’est grâce à lui : faible en calories et riches en vitamines, idéal pour entretenir naturellement ligne et peau de pêche. A la fois nous étions fiers de notre plat national et à la fois nous avions peur du regard des autres dans ce nouveau pays où nous devions nous intégrer.
En 2017, trente ans plus tard, l’actualité me rappelle ces sentiments contradictoires. On tente d’adapter le kimchi à la culture gastronomique occidentale. Et ce sont les Coréens eux-mêmes qui se disent prêts à sacrifier un emblème national sur l’autel de la globalisation. La Corée a déjà connu quelques beaux succès culturels avec la Kpop et les Dramas, pourquoi ne pas y ajouter la gastronomie et mettre le kimchi sur toutes les tables ?
Un jour, les Coréens parviendront à revendiquer une gastronomie dont ils sont fiers dans toutes ses saveurs et odeurs, où qu’ils vivent. Pour l’instant, et c’est l’ironie de l’histoire, tout continue de tourner autour d’une seule question, celle de l’intégration.
Propos : Won Kim
Rédaction et photos : Jemina Boraccino