Au travers de ses collections d’objets du quotidien et de ses portraits crayonnés au gré de ses rencontres, la dessinatrice AÏ Akiyama porte un regard frais, poétique et intime sur notre vie quotidienne. Avec Pantieology, son étude de la culotte débutée il y a cinq ans, l’artiste entre dans nos tiroirs au Japon comme en France, deux pays entre lesquels elle navigue depuis l’enfance. Avec une démarche autant artistique que méthodique, elle dessine, compile et analyse l’existence de nos culottes. Le simple objet du quotidien devient miroir culturel et social et révèle la complexité des vies et sentiments humains. Découverte.
La naissance du projet ?
Il y a quelques années, je dessinais des objets du quotidien, toute seule dans mon coin et je les postais un peu tous les jours sur un blog. Comme je vivais en banlieue, je prenais le RER pour venir à Paris. Au printemps, il y avait toujours de petites fleurs jaunes qui fleurissaient et, chez quelqu’un, deux ou trois grandes culottes blanches entrain de sécher, on les voyait depuis la fenêtre du train et là je me disais « ça y’est, c’est le printemps ». Et comme je faisais des dessins de tout ce qui m’entourait, j’ai également crayonné cela. Voilà, comment m’est venue l’idée de dessiner une culotte tout en détail. Ensuite, j’ai commencé à dessiner mes propres culottes et les gens trouvaient cela intéressant, étaient curieux, cela les faisait rire. Mais la monotonie est arrivée car il n’y avait que mon goût de représenté. Alors je me suis demandée à quoi ressemblaient les culottes des autres. Parallèlement, les livres ont toujours eu beaucoup d’importance pour moi, je les aime en tant qu’objet et tout naturellement cette curiosité autour des culottes des autres et les livres se sont mariés et j’ai réalisé un premier ouvrage en auto-édition. Au début je voulais faire un dictionnaire mais en parlant avec une amie, un soir, j’ai réalisé que c’était un projet impossible car il faudrait dessiner les culottes du monde entier. Je me suis donc couchée le soir un peu désespérée. Et en me levant, j’ai eu l’idée de faire une Pantieology, une étude autour de la culotte. C’est le courant japonais de modernologie, apparu dans les années 20 et qui observe les pratiques quotidiennes des gens, qui m’a influencé et en particulier le travail de Wajiro Kon, le fondateur du mouvement. C’était un architecte, un designer, un chercheur qui constituait des données à partir de la rue. Par exemple : quels mégots on trouve à quel carrefour et à quelle heure ou bien dans le train il dessinait et comptait combien de personnes avaient une coiffure de style japonais, de style européen, tout y passait. Ses livres ont influencé beaucoup de Japonais. Enfant, mes parents possédaient tous ses ouvrages. Son travail a eu une forte influence chez moi et tout s’est uni : le livre, la curiosité et l’envie de constituer des données sur mes contemporains.

Une démarche où art et technique de recherche sont étroitement liés
Je fais l’interview de la personne, je dessine ses culottes et je présente les deux en même temps, que ce soit pour un livre ou une exposition. De manière très rigoureuse, je pose toujours les mêmes questions sur son identité : l’âge, le signe astrologique, le type sanguin, le lieu de naissance, où elle a grandi, la nationalité, où elle habite, quel est son métier, si elle a un partenaire ou pas et si oui : depuis combien de temps et si non depuis combien de temps, la nationalité du partenaire. J’indique aussi la date de l’interview. Concernant les culottes, je demande combien elle en possède, combien de temps elle les garde, quelle est la fréquence d’achat, quel prix moyen elle peut mettre. Je dessine la culotte la plus sexy, la plus confortable et la préférée et à chaque fois je cherche à savoir où elles ont été achetées, à combien et pourquoi et s’il y a une anecdote avec la culotte. Et souvent elles ont des choses à raconter. Lors des expositions au Japon, les hommes sont étonnés. Ils ne savent pas qu’il y a autant d’efforts derrière ce petit bout de tissu. Comme je n’ai pas encore exposé à Paris je ne sais pas quelle sera la réaction mais je prévois d’exposer ici cette année.
Au début j’ai commencé à interroger les filles qui étaient autour de moi, surtout des artistes, et assez rapidement je me suis rendue compte que si je voulais faire une étude en tant qu’art sociologique, je devais rencontrer des filles et des femmes d’âges et de catégories socio-professionnelles différentes. De suite j’ai commencé à en parler autour de moi. Je suis en recherche continuelle de témoignages et pour l’instant tout se passe par le bouche-à-oreille.
Une volonté féministe ?
Mon travail peut être interprété dans un sens féministe mais je ne voudrais pas partir dans cette direction. C’est une position délicate que je dois défendre. La culotte est un objet qui est, bien sûr, très sensible au moral des femmes mais je ne veux pas que cela devienne un sujet de revendication, ce n’est pas mon objectif. C’est le portrait de personnes qui m’intéresse plutôt qu’un mouvement. S’accepter tel que l’on est et être bien chacun à sa façon, donc forcément il n’y aura pas que des femmes qui seront représentées, les garçons transsexuels, transgenres, ceux qui ont l’habitude de porter de la lingerie féminine seront, dans l’idéal, aussi interviewés. Au travers des culottes on découvre aussi le portrait du couple donc je ne parle pas forcément que des femmes. Pour moi, cette Pantieology est comme un ouvrage de portraits sans les visages.
Après mon exposition à Kyoto, en novembre dernier, des personnes sont venues me voir car elles voulaient intégrer mon étude. Elles évoluent dans l’univers de la lingerie, elles sont collectionneuses, c’est intéressant mais je veux rencontrer avant tout des gens qui n’ont pas forcément ce fétiche et pour qui la culotte est simplement un objet quotidien.

Des portraits, à la fois culturels et intimes
Entre le Japon et la France, j’ai l’impression qu’il y a une grande différence autour du statut donné aux culottes. Je parle d’impression car je dois encore avancer dans mon projet pour bien confirmer tout ça. Les marques japonaises, la plupart du temps, s’attachent à corriger le corps. C’est très culturel, c’est lié, en particulier, au port du kimono. On corrige le corps un peu comme avec un corset mais à l’inverse, en atténuant certaines courbes. Les culottes et soutien-gorge donnent une autre forme que celle que l’on a. Le marketing est assez fort, centré sur ce point de vue. Tandis que les marques de lingerie en France et plus largement en Europe appartiennent à la mode et au plaisir, au même titre que les vêtements.
La culotte reflète d’abord chaque culture puis à l’intérieur de celle-ci, il y a la notion de couple qui intervient. Si la personne interrogée a un partenaire, le goût de ce dernier peut changer le contenu de son tiroir.
Aujourd’hui, malgré les grandes enseignes comme Uniqlo, le style n’est pas le même au Japon et en France. Les marques s’adaptent à la culture du pays. Chaque fille choisit ses culottes avec sa personnalité, la culture de son pays et la culture du pays de son partenaire. Du côté des filles, j’ai aussi remarqué une certaine influence maternelle.
Puis vers 35 ans, en France comme au Japon cette fois-ci, elles portent une lingerie qu’elles aiment, bien sûr, pour faire plaisir au partenaire, mais pas que. D’abord, il faut qu’elles se sentent bien et c’est parce qu’elles sont bien que cela peut plaire à quelqu’un. Quand on commence à acheter la lingerie soi-même vers 18 ans/ 20 ans, il y a une période « d’aventure », où on essaye un peu de tout mais à partir de 30/35 ans, on a développé son goût à soi et on sait ce qu’on aime ou pas : strings, dentelles, cotons etc. Avec l’âge et le corps qui change, la forme de culotte évolue. Il est aussi important de noter que les culottes peuvent influencer le mental. Quand on ne va pas bien, que l’on regarde dans son tiroir et qu’il ne contient que des culottes fatiguées, le moral ne s’améliore pas. Beaucoup de témoignages indiquent qu’en soignant ce côté intime, les personnes redeviennent plus positives. Certaines femmes m’ont même avoué changer toutes leurs culottes quand elles rencontrent un nouveau partenaire.
Pantieology, les prochaines étapes
Pour l’instant j’ai réalisé une centaine d’interviews et dessiné 300 culottes. J’aimerais grandir dans d’autres cultures, si possible. Je ne sais pas si cela sera faisable mais le Maroc, l’Afrique, la Chine, d’autres pays d’Europe m’intéressent. J’ai déjà commencé à rencontrer quelques personnes aux États-Unis mais ce n’est pas encore suffisant d’un point de vue global. Au début je m’étais fixé 100 entretiens mais je me suis rendue compte que ce n’est pas beaucoup donc je me dirige, maintenant, vers 300 rencontres. Le projet grandit petit à petit. Je sens qu’il intéresse les gens. Je prépare des expositions et j’aimerais beaucoup m’associer avec un éditeur qui fait de belles choses. Il y a beaucoup de possibilités et je ne sais pas encore dans quelles nouvelles directions mon étude va partir. J’en suis très contente, je trouve cela excitant et stimulant.
Les gens, après avoir vu ou lu les interviews, sont touchés. Certaines personnes m’ont raconté repenser à leur vie quotidienne et ensuite aller s’acheter une culotte. Elles sont contentes de repartir dans quelque chose de nouveau et cela me fait grand plaisir. La culotte est un objet clé et de me rendre compte que ma démarche artistique puisse intervenir dans la vie de quelqu’un d’une façon légère et positive, j’en suis très honorée. La culotte est un petit objet qui se trouve dans presque toutes les maisons.

Par Jemina Boraccino
Dessins Aï Akiyama