Ils présentent leurs Happy Heads – têtes géantes colorées – au Musée Guimet ce week-end, associés à l’artiste italien Gabriele Rendina Cattani. Le public pourra samedi et dimanche participer à leur Hyper Karaoké. Nous sommes allés à l’avant-première, profiter de cette ambiance poétique, réconfortante et amusante.
Benoit + Bo, vous connaissez ? Les deux artistes répondent à nos questions
Pour le duo franco-chinois, le mot métissage symbolise leur rencontre. Ils expliquent : « C’est essentiel pour inventer de nouvelles formes artistiques, de nouvelles formes de pensées, une nouvelle esthétique. » Leurs Happy Heads reflètent bien cela. Les têtes gigantesques n’ont rien à voir avec une esthétique hybride, à mi-chemin entre la France et la Chine. Benoit + Bo a dépassé tout cela. Les deux cultures fusionnent si bien que les Happy Heads se fondent dans un carnaval du nord de la France comme dans une fête populaire chinoise. Elles semblent familières à tout le monde, tout de suite et cela attise notre curiosité.
Comment avez-vous commencé à travailler ensemble ?
Nous nous sommes rencontrés à Tianjin en 2002. Benoit ne parlait pas chinois et Bo ne parlait pas français. Nous utilisions entre nous un anglais approximatif. Cela n’était pas simple pour nous comprendre aussi nous avons commencé à prendre des photographies de nous et de la ville où nous habitions afin de rejouer différents moments de notre vie dans des images recomposées. Notre première collaboration était numérique.
D’où vous est venue l’idée des Happy Heads ? Comment réagissent les publics ?
Les Happy Heads c’est une rencontre qui explique bien notre rapport à l’art. Benoit + Bo se promène sur un marché de Hongkong. Benoit voit des grosses têtes chinoises au fond d’un étalage, art populaire qui se perd. Mais il voit ça avec sa culture européenne du carnaval, du grotesque. Il pense à James Ensor. Pour Bo, elles sont des souvenirs d’enfance de fêtes populaires qui n’existent qu’en Chine, de moments de joie. Nos souvenirs, nos cultures fusionnent. Nous transformons ces grosses têtes en Happy Heads, plus souriantes, plus colorées, plus contemporaines. Puis nous les portons, nous nous photographions et fabriquons différentes images numériques avec nos personnages. Et enfin nous les transformons en géants lumineux, sortes de divinités monstrueuses, d’esprits protecteurs. Les publics en Asie et en Europe se reconnaissent dans ces Happy Heads. Cela doit venir de l’enfance, car elles sont heureuses et souriantes, accueillantes, des fantômes de notre imaginaire.
Vous venez de deux cultures différentes avec des codes différents, comment vos deux contextes fusionnent-ils dans votre art ?
Dès le début de nos oeuvres communes nous avons fusionné nos cultures. Il fallait que nous puissions nous comprendre. Nos cultures étaient très différentes et nos histoires personnelles aussi. Pour comprendre l’autre il faut comprendre son histoire et ses codes. Cela ne s’est pas fait sans frictions ni incompréhension. Nous devions chacun de notre côté remettre en cause une partie de notre passé et de notre vision de l’art et du monde. Le monde n’est pas uniformisé, cela n’est vrai qu’en surface. Nos images sont de ce fait assez autobiographiques en ce qu’elles sont le reflet de l’évolution de nos mentalités. Nous sommes devenus petit à petit des êtres culturellement hybrides, étrangers et à l’aise partout. Cela se reflètte dans nos images dans lesquelles les codes et les compositions sont mixtes.
Il y a quand même une universalité de l’esthétique visuelle qui vient de la culture populaire, qu’elle soit asiatique ou occidentale. La couleur a ainsi une place prépondérante, le rythme, la symétrie. Mais la couleur c’est aussi la Méditerranée où Benoit a grandi et l’influence qu’elle a eu sur la peinture du XXeme siècle. Il y a aussi des symboles populaires qui viennent des croyances ou superstitions que l’on retrouvent dans nos deux cultures et une vision urbaine du monde dans la brillance et la lumière qu’on utilise souvent.
Pouvez-vous nous parler de votre vision du monde et de son impact sur votre cheminement artistique ?
Notre vision du monde a considérablement évoluée depuis notre rencontre. Il n’y a plus de centre du monde ni de culture dominante pour nous. Dans le domaine de l’art, nous nous intéressons aussi bien à ce qui se passe en Afrique qu’en Orient ou Amérique du sud, etc. Nous avons vécu et travaillé dans différents continents, pays, villes, en Chine, en Corée, en France, en Italie, actuellement en Belgique. Cela a bien sur un impact important sur notre travail. Nous sommes loin de certaines préoccupations artistiques « régionales », françaises ou chinoises. Le monde est grand et l’art doit voir les choses de manière plus globale. Nous avons vécu dans différentes langues et cultures. Nos déménagements, « mouvement perpétuel » nous a poussé à utiliser de plus en plus l’outil numérique. Nous transportons toujours avec nous nos disques durs. Nos images sont ainsi toujours accessibles et se matérialisent facilement où que l’on se trouve.
Par Jemina Boraccino
Visuel page d’accueil : © Benoît + Bo, Tangka