Seoeon fait partie de ces personnes dont on ressent tout de suite la force tranquille et la bienveillance. Cela surprend d’abord avant de s’imposer naturellement. Oui, dans les regards renforcés par les grandes lunettes rondes, dans les mouvements des bras et des mains qui soulignent les phrases, ces ADN sont inscrits. Elle nous reçoit au Sphinx, salon de tatouage parisien où elle exerce son art pour deux semaines. Elle le conçoit, un job de conceptrice de communication visuelle c’est le genre de carte de visite qu’on attend d’une jeune femme coréenne. Pourtant on comprend vite qu’abandonner cette carrière pour devenir tatoueuse était une évidence : « j’ai vu des photos de tatouages, je me suis décidé à en faire un et j’ai su que je voulais en faire mon métier ». Elle devient élève de son tatoueur et a ouvert son propre salon à Séoul, cette année.
LA NOMADE DU TATOUAGE
La voilà donc à Paris pour la deuxième fois en deux ans. Une affection particulière pour la capitale française ? C’est vrai, elle aime la ville mais son truc à elle s’est parcourir le monde, dermographe dans le sac. « Je provoque mes résidences, je contacte les tatoueurs par mail un peu partout : en Europe, aux USA, en Asie…et je leur propose de venir tatouer dans leur salon une ou deux semaines. C’est important d’aller à la rencontre des gens et de découvrir comment ils vivent, c’est comme cela qu’on évolue soi-même. L’année dernière j’ai pu travailler au Japon, aux USA, en France et à Hong-Kong. Cette année j’ajoute la Suisse, Singapour, peut-être l’Australie et je retournerai à Hong Kong. Le voyage m’inspire et inspire mon art du tatouage. Pour cela, je ne peux dire que mon style est coréen. Bien sûr, on y retrouve ces traits minimalistes, délicats propres à beaucoup de tatoueurs à Séoul cependant, c’est un ensemble de cultures qui m’influencent. J’aime puiser dans des références chinoises, américaines, coréennes et les superposer comme dans un collage. C’est peut-être pour cela que je reçois beaucoup d’étrangers qui profitent d’un voyage en Corée pour se faire tatouer par mes soins. Ils se reconnaissent dans mes dessins. »
Son seul regret, ne pas pouvoir à son tour accueillir de tatoueurs étrangers dans son salon à Séoul. Le métier de tatoueur est illégal en Corée, la prudence est de mise.
LA VIE A FLEUR DE PEAU
« Quand je tatoue, nous parlons de nos vies, de nos familles, mon client et moi. Il y a vite un sentiment d’amitié qui s’installe et cela permet de se comprendre. Et oui, les gens à Paris sont plus ouverts d’esprit qu’à Séoul. Pour autant, dans les demandes des clients, en Corée comme ici les envies sont similaires. Il y a quelques clients qui se font tatouer pour une simple question de mode. Ils viennent faire comme les stars de K-pop qu’ils admirent. Pour la majorité, quel que soit le pays, le tatouage représente une chose très importante, il symbolise leur histoire personnelle, un moment marquant qu’ils font graver sur leur peau. Quand je voyage, une rencontre, un paysage, un événement me touche et je l’inscris sur moi. Mes tatouages sont le journal de ma vie.»
LES RACINES
Seoeon a trouvé sa voie, pas de doute possible. Et on comprend vite d’où vient cette confiance. « Au début, mes parents étaient très inquiets par cette envie de devenir tatoueuse. Ma mère était même effrayée. Je leur ai expliqué et montré ce que je voulais faire et finalement ils ont décidé de me soutenir. Ils me font confiance. Je me suis même exercée au tatouage sur ma mère quand j’étudiais ! Je sais que j’ai de la chance qu’ils aient cette ouverture d’esprit. » Elle le précise, une telle réaction de sa famille n’est pas la plus commune en Corée même si les mentalités évoluent.
LE REGARD
La question s’impose ! Qu’en est-il de la pression sociale ? Comment la vit elle dans un pays toujours très confucianiste et où le carcan social et familial reste rigide, pesant, en particulier pour les femmes ? Le tatouage, longtemps l’exclusivité des membres des gangs, n’est pas encore synonyme de respectabilité et de réussite. On suppose, bien sûr, une vie compliquée à Séoul pour Seoeon. Elle ne suit pas le modèle commun imposé. Elle balaye vite les préjugés : « Être tatoueur en Corée est illégal, on risque la prison c’est vrai. Mais si on exerce notre métier discrètement, on évite les ennuis. Pour moi, tout va bien en Corée. J’ai ouvert mon propre salon de tatouage et j’ai une élève que je forme à mon tour. L’art du tatouage se démocratise vite. Les stars de K-pop n’hésitent pas à montrer les leurs » Elle ajoute, amusée, « je me moque de ce que pense les autres, on me soutient du monde entier sur Instagram ». Seoeon fait partie de cette nouvelle génération connectée qui s’émancipe du dictat de la société coréenne. Au travers du tatouage et de ses choix de vie, elle représente une volonté de changement vers une société plus tolérante, ouverte aux envies personnelles.
Textes et photos par Jemina Boraccino