Rencontre avec l’un des rares artistes urbains chinois à s’exprimer en Chine comme en France. Graffeur de la première heure à Chengdu, il nous explique comment le street art parisien a inspiré son parcours. En constante expérimentation, le jeune artiste – humain avant tout – trace dans ses créations un langage universel où philosophie, nature humaine et cosmos s’entremêlent.
Qu’exprimes-tu à travers ton art ?
La philosophie de mes créations fait référence à la science, la religion et l’art. Pour moi ces trois thèmes existent pour une même raison, ce sont les différentes branches d’un même arbre. L’humain, depuis toujours, a envie de trouver les réponses à ses questions existentielles de base : Quel est le sens de la vie ? Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous. On cherche une solution pour nous-mêmes et pour l’univers. Dans mon travail, il y a toujours une ambiance de zen oriental. Je réalise de grandes peintures qui inspirent le silence, c’est un feeling que j’ai envie de donner aux gens. On le ressent dans ma série blue où les portraits de personnages jouent avec des effets optiques. Une de mes influences c’est l’art optique des années 60/70 très courant chez les hippies. Tout ce qui est psychédélique. En Chine, le mouvement hippie, avec son esprit de liberté, est très intéressant pour ma génération, il est inspirant. Nos parents n’avaient même pas idée de ce qu’il se passait dans le monde occidental à ce moment-là, ils n’en connaissent rien. La Chine était fermée.
J’ai envie de partager mes œuvres avec le plus grand nombre car je crois au karma. Pour moi, quand on s’ouvre au monde, forcément on reçoit. C’est pour cela que les lieux publics représentent le plus bel espace de création, les peintures peuvent parler à tout le monde, c’est très différent d’une galerie privée où ne viennent que les gens intéressés. Après la série blue, je suis parti dans un grand mélange de couleur avant de me concentrer sur du monochrome rouge. Je suis encore en train d’essayer, j’expérimente toujours. Face à mes œuvres, je trouve important que les spectateurs apportent aussi leur interprétation parce que je ne veux pas limiter le ressenti. Je ne crée pas un design de publicité avec un message unique très direct et identifiable. J’ai envie de donner de l’espace pour permettre aux gens de réfléchir, d’interpréter. Une publicité on l’oublie vite. J’aimerais bien qu’une personne qui voit une de mes œuvres, l’emmène dans sa tête jusque chez lui et si elle ne lui suggère rien sur le moment peut-être que plus tard, elle peut prendre vie dans son esprit. S’il n’y pas d’interaction l’œuvre n’existe qu’à moitié.
Quel est ton parcours, de la Chine à la France ?
Je suis arrivé à Paris il y a onze ans, pour continuer mes études en master arts plastiques à la Sorbonne. Avant cela, j’ai vécu quelques temps à Aix en Provence. C’est le film Writers, 20 ans de graffiti à Paris qui m’a donné envie de venir en France. Quand j’ai commencé le graffiti en 2003 à Chengdu, ma ville natale, on ne trouvait pas beaucoup de ressources sur le street art, ni sur internet, ni ailleurs, jusqu’à ce que l’on découvre ce film documentaire, en dvd. Il est devenu une référence et a beaucoup influencé les graffeurs chinois de l’époque. On y a découvert les talents de Paris et de sa banlieue. La capitale française est très riche pour l’art urbain. Il y a encore un peu une ambiance Brooklyn, un peu gang à certains endroits et en même temps le street art est lié à l’art contemporain. Paris est une ville spéciale par sa culture et sa riche histoire dans l’art. Ici, avant le graffiti, des artistes faisaient déjà de l’art dans la rue, comme le précurseur Daniel Burren. Rien d’étonnant que le mouvement graffiti des États-Unis se lie au monde de l’art contemporain à Paris.
Le graffiti est arrivé en Chine en 2001 par Hong Kong, grâce à l’artiste Syan. Il a vécu en France entre 1990 et 1997. Après avoir fait les Beaux-Arts, il rentre et commence une carrière de graffeur. Il devient aussi un rappeur de l’underground hongkongais. Il importe en même temps le graffiti et le rap à Hong Kong. Syan est quelqu’un de symbolique. Puis en 2001, le graffiti entre en Chine par Shenzhen, la ville la plus proche de Hong Kong.
J’ai découvert le graffiti à l’adolescence mais petit, j’ai d’abord appris la peinture traditionnelle chinoise. Ma mère m’a inscrit à des ateliers de peinture vers 6-7ans. Même très jeune, quand je ne savais pas lire, je regardais des livres, des BD et les images me parlaient beaucoup. Cela me plaisait mais je n’ai jamais pensé en faire mon métier. En grandissant, vers 15 ans, j’ai rencontré des gens qui faisaient du skate à Chengdu, à un moment où c’était très mal vu. Moi j’ai trouvé cela cool et puis il y avait le graffiti derrière. C’était apprendre la culture occidentale à un moment où la Chine n’était pas encore très ouverte. On était un très petit groupe de 5 jeunes dans une ville de plusieurs millions de personnes, avec les mêmes goûts, les mêmes passions. On peignait dans la rue parce qu’à l’époque, pour nous, le graffiti c’était synonyme de vandale. On a eu beaucoup d’ennuis avec la police, avec les voisins parce que ce que l’on faisait c’était tellement nouveau. Personne n’avait vu cela avant. Jusque-là, notre espace public, nos murs n’étaient occupés que par des publicités ou les phrases officielles du gouvernement, du parti communiste. Il arrivait aussi que les gens aiment ce que l’on faisait.
En 2007, les Français filmés dans Writers sont venus à Shenzhen pour un projet. Je suis allé rencontrer mes idoles ! L’ambiance artistique était incroyable ! J’ai demandé à tous les artistes leurs mails pour rester en contact et Kongo – qui a collaboré avec Hermès et Chanel cette année – m’a donné ses coordonnées complètes. Dans ma tête, je me suis promis d’aller le voir à Paris. En 2008, j’arrive en France pour l’art, ma carrière et avoir de meilleures conditions d’études. A 22 ans, 2 ans après mon arrivée, j’ai eu une proposition de la galerie MathGoth, à Paris. Ils avaient remarqué mon travail sur internet et cela a lancé ma carrière. Exposer m’a ouvert la possibilité de vivre de ma passion. Faire du street art son métier cela n’existe pas en Chine, on pense au design, au tatouage. J’apprécie ma chance au plus haut point. Ce début est très important pour moi, j’ai compris qu’il fallait devenir artiste professionnel, exposer et vendre pour avoir de meilleures conditions de création.
À Paris, Kongo m’a proposé de rejoindre son équipe et c’est une vraie école de voir travailler un artiste comme lui, qui monte sa carrière à un haut niveau. A l’époque, je travaillais en partie pour Kongo, mais j’ai toujours continué mes créations personnelles. Pour un artiste, selon moi, c’est création jusqu’à la mort, il n’y a aucune raison de lâcher.
La Chine et la France se rencontrent-elles dans tes créations ?
Bien sûr ! De façon consciente et inconsciente car cela fait 11 ans que je suis en France. Quelle est mon identité ? La Chine car j’y ai grandi jusqu’à 20 ans et ensuite il y a 10 ans ailleurs. Comment exprimer les deux puisque je suis les deux ? Une oeuvre c’est une partie de l’âme d’un artiste et de sa vision du monde. Et au-delà, je veux faire des choses universelles, je ne veux pas être limité. Je m’intéresse à toutes les cultures, pour tous les peuples, toutes les classes. On est tous des humains et surtout on doit être de bonnes personnes avec les pieds sur terre. Je suis né en Chine mais avant d’être Chinois, asiatique, je suis un humain. La Chine ce n’est que ma première expérience d’humain mais après en tant qu’humain, je peux choisir d’autres expérimentations. Et je suis venu ici, à Paris. On ne vit qu’une fois. Il faut faire ce que l’on a envie et le faire bien. Un jour, et c’est pour tout le monde pareil, tout disparaît. C’est pour cela que je préfère regretter d’avoir fait au lieu de n’avoir rien fait. Les parents chinois recherchent et espèrent pour leur enfant une vie confortable, stable et en sécurité mais on est rarement heureux dans ce quotidien-là. J’ai fait le choix de l’aventure et en fait, la vie roule toujours.
Aujourd’hui, tu travailles autant en Chine qu’en France ?
Je travaille tout le temps. J’alterne entre la Chine et Paris. Avant mon arrivée en France, j’avais déjà lancé des projets pour les marques Nike et Converse en Chine. Grâce à Converse, j’ai visité Hong Kong pour la première fois à 17 ans. J’avais gagné un prix avec eux. En France, j’ai envie de développer une carrière.
J’ai un atelier à Chengdu. À Paris, je peins plutôt à la maison. J’essaye de faire des projets un peu partout et évidemment je suis encore un jeune artiste et je dois développer tout cela. J’ai encore beaucoup de choses à apprendre. Pour l’instant, j’ai travaillé avec des marques comme Adidas, Original, Absolut Vodka, Vice et des marques chinoises.
À Paris j’ai fait un grand mur pour la mairie du 12ème et j’ai récemment exposé à la mairie du 13ème . Je suis le seul chinois à l’avoir fait et j’en suis heureux. On ne compte pas encore beaucoup de street artistes chinois. En Chine, ce mois de mai, je suis invité à la fashion week de Shanghai pour une collaboration avec la marque de streetwear INXX. On retrouve mes dessins sur leur nouvelle collection de vêtements.
Que t’apporte Paris ?
Paris c’est comme ma deuxième maison, je me sens bien ici. Si je réponds de façon logique et non avec mes émotions, j’ai choisi Paris car je pense que le graffiti vient de New York mais les Français l’ont monté à un autre niveau. Ici JR travaille avec le Louvre. Et dans le processus de création, j’ai besoin de changer de lieu parfois, pour mieux me concentrer, pour réfléchir et c’est Paris. En Chine, j’ai mon atelier mais j’ai beaucoup d’amis, de projets, je tombe dans le travail directement. La Chine est trop peuplée, tumultueuse et j’en arrive à perdre mes émotions. A Paris je peux me recentrer sur moi-même. J’y organise les prochaines étapes, avec l’esprit clair. Si on parle de karma, la pensée est très importante et les émotions qui vont avec sont des graines qui amènent les actions qui avec le temps deviennent un résultat. Une bonne réflexion amène une bonne création. J’ai beaucoup évolué à Paris. A 15 ans, quand j’ai commencé le graffiti, mon énergie servait une rébellion. Maintenant je veux transmettre une énergie positive, de partage. J’ai aussi beaucoup appris à la Sorbonne, au niveau de la notion d’institut, d’utilisation de l’espace d’exposition…avant j’étais juste un graffeur, avec une mentalité de graffeur mais ce n’est pas avoir la pensée d’un artiste d’art contemporain. Le monde de l’art a son propre code, on ne peut pas le nier. Faire sur une toile, la même chose que sur un mur avec une bombe de peinture qu’est-ce que cela apporte ? Je ne suis plus ce graffeur qui pose mon tag ici parce qu’il en a envie et qui se moque de l’avis des autres. Maintenant, j’essaye d’avoir un réflexion d’artiste contemporain sur l’utilisation du lieu, du langage. Je veux partager une vision artistique.
Par Jemina Boraccino
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