Les relations entre les deux Corées n’ont jamais été aussi bonnes. Le dialogue et la coopération entre Séoul et Pyongyang s’approprient tous les champs du possible : mercredi et jeudi l’équipe de basket sud-coréenne s’est rendue au nord pour une série de matchs amicaux. Une première depuis quinze ans. Les familles séparées par la guerre de Corée pourront se rencontrer fin août, on parle même de l’ouverture prochaine d’un bureau de liaison à Kaesong pour reprendre les échanges intercoréens.
Qui aurait cru un tel dialogue possible il y a un an seulement, lorsque Donald Trump et Kim Jong-un se défiaient à distance ? Et pourtant, les dirigeants des deux Corées se sont rencontrés le 27 avril 2018 et le sommet de Singapour le 12 juin a finalement eu lieu entre le président américain et le dirigeant nord-coréen. La signature d’un traité de paix et la fin officielle de la guerre de Corée constitueront-elles la prochaine grande étape ?
Que pensent les Coréennes et Coréens installés à Paris de ces évènements ? Et qu’espèrent-ils pour l’avenir des relations entre les deux Corées ? A eux la parole.

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© Jemina Boraccino
Lyang Kim est réalisatrice de documentaire. Elle est arrivée à Paris en 1995 avec en ligne de mire la réalisation cinématographique. Aujourd’hui, elle partage sa vie entre la France et la Corée du sud. La Corée du nord tient une place à part dans sa vie. Son père y est né et n’a pas pu revoir sa famille restée là-bas depuis le mois de décembre 1950. Dans notre entretien elle utilise l’expression « mes deux Corées » pour parler de la Corée du sud et de la Corée du nord car pour elle, finalement, elle considère cette « Corée Lointaine » comme son pays natal même si elle n’a jamais pu rencontrer la famille de son père. Son troisième documentaire traite de ce sujet. Il sortira prochainement en Corée du sud.
« D’abord, c’est une excellente nouvelle qu’ils se soient vus, et évidemment j’attends d’eux qu’ils avancent ensemble vers la paix, et également qu’ils tiennent leur promesse de part et d’autre. Surtout, j’espère que le traité de fin de la guerre soit signé, afin que les deux Corées s’engagent et coopèrent activement pour la paix sur la péninsule. Car la Corée du Sud n’a pas été présente pour la signature de l’armistice le 27 Juillet 1953, ceci lui donne un statut ambiguë jusqu’à maintenant dans cette relation politique de pouvoir. À mon avis, il est très important que les deux dirigeants de la Corée divisée se côtoient souvent en dehors du contexte politique. Notre peuple est resté trop longtemps dans cette situation de l’armistice qui n’est pas facile à gérer mutuellement. Et je pense que mon pays natal, divisé ainsi, doit prendre en main la procédure de réunification sans avoir vraiment l’intervention chargée des puissants pays extérieurs. Tant que la Corée du nord est attachée à la Chine, tant que la Corée du sud est attachée aux États-Unis, il sera compliqué de faire réunir mes deux Corées divisées… En même temps ces deux côtés ne vont pas lâcher volontairement leur allié dans un futur proche. »
Pour l’avenir ? : « J’espère vivement un système alternatif qui permet de communiquer, de voyager et de faire du commerce, etc. Que toute forme d’échange possible s’installe entre mes deux Corées. Depuis l’armistice, ces deux Corées suivent chacun un chemin très hétérogène, du coup on ne peut même pas considérer que c’est le même pays. Cette hétérogénéité a pris une forme trop lourde, il sera réellement ardu de coexister, avec le décalage économique, mental, et culturel… Donc je ne souhaite pas immédiatement une réunification qui va engendrer violemment un chaos social dans la péninsule. Il faut du temps, voir à très long terme. »
Woojung Park est photographe de mode. Originaire de Busan, l’artiste s’est installé à Paris en 2002 après avoir fait les Beaux-Arts de Valence. Il travaille à la fois pour des créateurs et des marques basés en France et en Corée. La presse spécialisée mode fait régulièrement appel à lui.
« C’est juste surréel ! Comment pouvions-nous imaginer qu’un jour ces deux dirigeants se rencontrent ! Vraiment on ne s’attendait pas à cela. Nous sommes tous surpris par ce qui se passe actuellement. C’est un acte très courageux, surtout du dirigeant Kim Jong-un. Jusqu’à nos jours les dirigeants Nord-Coréens ont été perçus comme des diables et des personnes inhumaines. Tandis que Kim Jong-un s’exprimait comme une personne normale et acceptait la difficile situation de son pays, indirectement bien sûr. A tel point qu’on a presque envie de penser qu’il est en train de nous tromper. Il y a aussi bien sûr notre président Moon Jae-in qui a fait énormément d’efforts ! »
Pour l’avenir ? : « Si des problèmes diplomatiques ou autres ne surviennent pas, tout se passera bien. Et je suis déjà sûr que le gouvernement et les grandes entreprises du sud travaillent dessus. Je suis curieux de savoir comment va se dérouler la réunification, qui va quand même prendre au moins dix ans. »

A Seoul. Le doughnut américain et la tradition coréenne.
© Jemina Boraccino
Suhyun Kang est arrivée à Paris pour étudier la photographie de reportage. Après être retournée en Corée pour y travailler quelques temps, elle est définitivement revenue s’installer à Paris il y a 5 ans. Elle a fondé, avec sa sœur, une société de design et d’import de textile coréen et travaille avec les grandes marques de prêt-à-porter européennes.
« Dans ma famille, nous avons été très contents que les dirigeants Trump et Kim se rencontrent finalement, surtout que le président américain avait brusquement décidé de ne pas venir à Singapour. Je pense que pour l’ensemble des Coréens, ces dernières rencontres représentent un bel espoir de voir la paix s’installer définitivement. Nous sommes optimistes. Personnellement la rencontre entre le président Moon Jae-in et le dirigeant Kim Jong-un m’a beaucoup plus ému. Mais en tant que Coréenne, cela m’attriste que mon pays ne puisse pas participer pas à la signature du traité de paix avec le nord. L’armistice de la guerre de Corée a été décidée entre la Corée du nord, les États-Unis et la Chine. On dépend donc des USA.
Aujourd’hui, les relations entre la Corée du sud et la Corée du nord sont positives et il faut que cela continue. Des rencontres entre les familles séparées par la guerre sont prévues pour cet été, les deux pays vont faire des équipes communes dans certaines disciplines pendant les jeux asiatiques du 18 août au 2 septembre prochain et on commence même à parler d’échanges économiques. »
Pour l’avenir ? : « Nous n’attendons pas la réunification dans l’immédiat, les choses vont avancer doucement c’est normal. Il y a à peine un an des insultes étaient régulièrement échangées entre la Corée du nord et les États-Unis, les choses ont changé tout à coup. De bons échanges culturels et économiques vont sûrement se développer entre les deux Corées. L’économie sud-coréenne ne va pas très bien, peut-être qu’une bulle d’air arrivera grâce aux échanges avec la Corée du nord. Et peut-être même qu’un jour on verra Donald Trump s’engager dans le business à Pyongyang, après son mandat. »
Yongmi Lee vit en France depuis plus de dix ans. Elle a couplé des études d’art et d’anthropologie. En parallèle de sa propre recherche artistique, elle anime des ateliers d’arts plastiques à destination des enfants. Les deux Corées font partie intégrante de sa vie depuis toujours. Son père originaire de Pyongyang a fui la guerre de Corée et est arrivé enfant en Corée du sud. Plus tard, il a créé une association d’amitié et d’entraide à destination des Coréens du nord installés au sud.
« Avec la rencontre entre le président Moon et le dirigeant Kim et la rencontre avec Trump à Singapour, on avance vers la paix. On parle d’arrêter les exercices militaires en Corée du sud et c’est très bien. L’armistice a été signée en 1953 sans la Corée du sud, c’est regrettable mais qu’au moins aujourd’hui, la paix s’installe. Pour la dénucléarisation de la péninsule coréenne, l’exiger tout de suite, je ne pense pas que cela soit possible. Cela va être fait étape par étape car pour le dirigeant Kim, c’est une façon de se protéger contre les États-Unis. Il faut voir l’évolution des relations diplomatiques entre les deux pays surtout que le président Trump a voulu annuler la rencontre de Singapour quelques jours avant la date prévue. Si les deux Corées sont amies, les USA peuvent ne pas apprécier car cela risque de leur créer des problèmes économiques puisque la Corée du sud est le premier importateur d’armes américaines au monde et qu’elle paye pour les soldats américains installés sur son sol. »
Pour l’avenir ? : « J’espère que les États-Unis n’imposeront pas leur présence au nord comme ils l’ont fait au sud. Les deux Corées peuvent créer une nouvelle relation, positive sans leur influence. Si les enfants des deux Corées se rencontrent et se découvrent, ce serait formidable. Nous sommes séparés depuis plus de 70 ans, alors des échanges dans le domaine de l’éducation et de la culture permettrait aux jeunes générations de recréer des liens. »
Souya Kim est sculptrice. Après avoir fait les Beaux-Arts de Séoul, elle a poursuivi des études d’histoire de l’art à la Sorbonne. Personnalité engagée dans la communauté coréenne en France, elle fait partie des organisateurs des manifestations parisiennes contre la présidente Park Geun-Hye et de celles pour obtenir des réponses sur le naufrage du Sewol.
« Avec mon entourage, nous avons été très émus par la rencontre entre les dirigeants des deux Corées. J’ai presque passé une nuit blanche, j’ai tout regardé. Là, c’est la troisième tentative de rapprochement avec la Corée du nord et cette fois-ci, c’est la bonne car la volonté politique est là. Les parents de notre président Moon Jae-in sont originaires de Corée du nord, il est plus sensibilisé à la question. Nous sommes optimistes aussi car les déclarations du président Trump après sa rencontre avec le dirigeant Kim Jong-un sont trop officielles pour qu’il puisse revenir dessus. Il va respecter son engagement tout comme Kim Jong-un qui est un jeune dirigeant intelligent. Il a compris la nécessité de l’ouverture sur le monde pour son pays. Depuis des décennies, tous les pays du monde ont la même vision négative, diabolisée de la Corée du nord et finalement on constate que le dialogue est possible. »
Pour l’avenir ? : « Une réunification sera peut-être envisageable un jour mais à très long terme et je penche pour une réunification fédérale, pas totale. On ne connaît pas les Nord-Coréens qui vivent sous un régime costaud qui n’existe nulle part ailleurs. Il faut avant tout que les Sud-Coréens et les Nord-Coréens se connaissent et se respectent. Il doit y avoir un échange entre les peuples au travers de la culture, du sport, des voyages. Que les familles séparées puissent se rencontrer. »

Messages pour la paix et la réunion des familles. Pont de la Liberté. DMZ, Corée du sud.
© Jemina Boraccino
Par Jemina Boraccino