#MeToo a connu un retentissement dans de nombreux pays mais le mouvement a pris une ampleur surprenante en Corée du sud. Une situation unique en Asie. Des milliers de femmes se sont engouffrées dans la brèche ouverte par la procureure Ji-Hyun Seo, en janvier dernier. En réalité, la contestation enflait depuis presque deux ans, bien avant les débuts du mouvement aux États-Unis. Depuis le meurtre de Gangnam où une femme est morte parce qu’elle était une femme. #MeToo suivi de #WithYou ont libéré la parole des femmes dans un pays particulièrement sexiste. Et entre noirceur et optimisme, la route s’annonce longue pour les Coréennes.
Une prise de conscience militante
La discrimination des femmes en Corée du sud a de quoi surprendre. En 2015, les chiffres de l’OCDE place le pays à la 115 ème place sur 145 sur les questions d’inégalités Hommes/Femmes. Autre chiffre percutant, selon le Korean Women’s development institute les crimes à caractère sexuel ont été multipliés par trois entre 2000 et 2014. Et dans cette société particulièrement inégalitaire entre les hommes et les femmes, #MeToo s’est imposé. Aujourd’hui les Coréennes parlent et un retour en arrière n’est pas envisageable comme en témoigne les manifestations du week-end dernier à Séoul. Des milliers de femmes sont descendues dans la rue pour demander aux autorités d’agir contre les prédateurs sexuels qui cachent des caméras dans les lieux publics afin de les filmer à leur insu.
En janvier dernier, la Corée entendait le premier témoignage #MeToo d’une longue liste. La procureure Ji-Hyun Seo prenait la parole en direct à la télévision et expliquait comment elle a été abusée sexuellement par un supérieur et comment cet homme a ensuite usé de son autorité pour la rétrograder. Comme nous le précise Soo-Jeong Mok, auteure et traductrice engagée, les Coréens ont été étonnés car le mouvement commence grâce à une femme issue d’un milieu conservateur où ces révélations sont taboues. Elle ajoute : « sa parole a tout de suite été entendue, les gens lui ont fait confiance car elle s’est exprimée sur la chaine de télévision JTBC, la même qui a révélé l’affaire autour de la présidente Park Geun-Hye ».
Même surprise du côté des activistes féministes coréennes. Nous avons interrogé les deux responsables du Doing Cafe de Séoul, un café dédié au féminisme, le premier du genre ouvert en Corée du sud en mars 2017. Elles précisent : « Au début, nous ne pouvions pas imaginer l’impact que le mouvement MeToo aurait sur la société coréenne. Bien que l’émergence du militantisme féministe en ligne au travers de Megalia et le meurtre de Gangnam en 2016 aient été un autre moment décisif pour le féminisme coréen, de nombreuses victimes hésitaient encore à parler de leur expérience traumatisante à cause des sévères stigmatisations socioculturelles contre les victimes de violences sexuelles. Mais maintenant, nous voyons de plus en plus de femmes s’exprimer, se rendant compte que ce qu’elles avaient considéré comme quelque chose d’embarrassant sur le plan personnel fait en fait partie d’une réalité plus vaste. »
Les femmes ont pris conscience qu’elles rencontraient un vrai problème dû à leur statut de femmes, dans leur quotidien comme au travail. La nécessité de parler des abus subis s’est imposée.

Couverture du livre regroupant les post-it hommages à la victime du meurtre de Gangnam, sortie 10 du métro.
Avant #MeToo, le meutre de Gangnam survenu le 17 mai 2016 constitue un point charnière. Un homme a patiemment attendu, tapi dans des toilettes publiques l’entrée d’une femme pour la tuer sous le seul prétexte de sa haine des femmes. De nombreuses Coréennes se sont vite réunies pour rendre hommage à la victime et dénoncer un crime sexiste. Des milliers de post-it où des messages comme « je ne vais pas rester silencieuse » sont déposés à la sortie 10 du métro de Gangnam, près du lieu du crime. Soo-Jeong Mok précise : « C’était la première fois que les femmes se rencontraient pour parler de ce sujet tabou, d’abus, de violences sexuelles et c’était la première fois qu’un meurtre social tel que celui-ci se produisait. » Pour ne jamais oublier, les post-it ont été conservés et publiés sous forme de livre.
Le meurtre de Gangnam a également incité Liz Kim à ouvrir le Doing Cafe de Séoul : « Les deux incidents les plus choquants sont survenus au cours des 5 dernières années : le naufrage du ferry Sewol en 2014 et le meurtre de Gangnam en 2016. Ces deux incidents m’ont tellement frappé que j’ai ressenti un sentiment énorme de culpabilité et de responsabilité sociale en tant que féministe. Je rêvais de construire un espace féministe depuis longtemps, mais je n’aurais pas pu imaginer le faire avant le meurtre de Gangnam. C’est pourquoi j’ai finalement travaillé à l’ouverture de ce café. C’est la maison culturelle du féminisme. »
Une prise de conscience militante qui n’avait besoin que de l’étincelle #MeToo pour s’enflammer. La parole et l’action peuvent changer la société et faire évoluer les mentalités, comme l’a prouvé la destitution de la présidente Park Geun Hye. Avec #MeToo, le droit des femmes entre dans le débat public. Pour Seohye, jeune étudiante de 22 ans à Cheongju, #MeToo a changé son regard sur la société : « Personnellement, j’ai des amis avec qui je parlais déjà de sujets polémiques mais avec d’autres, non, ni avec mes parents. Pourtant, après l’arrivée de #MeToo, la conscience a beaucoup changé. Si nous sommes victimes, nous savons maintenant que ce n’est pas un cas rare, que nous ne sommes pas seules. Nous pouvons oser avouer ce qui est arrivé. Et la force sociale et bizarre qui voulait justement voiler la situation en culpabilisant la victime ne pourra plus le faire. Tout cela grâce au changement dans la conscience générale. »
Les obstacles
Dans un pays à l’organisation encore très misogyne cette prise de conscience commune ne peut pas se faire sans accrocs. Comme aux États-Unis, les premiers à avoir été dénoncés pour leurs agissements sont des célébrités issues du monde politique et artistique. Soo-Jeong Mok explique : « les premières dénonciations sont venues d’une procureure, de femmes du théâtre et de la littérature car elles ont une certaine autonomie, elles peuvent se permettre de parler. Elles s’engagent pour la société ». Depuis, de plus en plus de femmes racontent. Les responsables du Doing Cafe expliquent : « De plus en plus de femmes de tous les milieux ont commencé à dénoncer leur harcèlement sexuel au travail ou dans la vie quotidienne. Je pense qu’un grand nombre de femmes finissent par réaliser ce que la fameuse rhétorique féministe « le personnel est politique » signifie pour elles. Avant le mouvement MeToo en janvier dernier, la société coréenne était trop intolérante pour que les femmes parlent de leur expérience traumatisante parce que la société est tellement dominée par les hommes que certaines femmes ne savaient pas à quel point le harcèlement sexuel et la violence sont monnaie courante. La grande idée du mouvement MeToo était que cela arrive à d’autres personnes, alors c’est un problème social et pas seulement un problème personnel. »Aujourd’hui, le mouvement s’est essoufflé à la télévision mais se poursuit dans la société coréenne et force est de constater qu’une partie des hommes coréens ne réagissent pas positivement au mouvement. En appliquant – par exemple – la règle Mike Pence (du nom du vice-président américain) à leur relation avec leurs collègues féminines. Cela consiste à isoler les femmes des communications et décisions de l’entreprise de peur d’être accusé de harcèlement sexuel. L’équipe du Doing Cafe à Seoul le confirme et va même plus loin : « Nous espérons que la situation ira pour le mieux, mais nous sommes préoccupés par la forte réaction qui a suivi le mouvement MeToo. Par exemple, la soi-disant « règle Mike Pence » au travail est comptée parmi les réactions les plus répandues. (…) Pire encore, plusieurs agresseurs masculins partagent leurs expériences et obtiennent des conseils juridiques en ligne de la part d’autres membres de communautés d’extrême droite, dominées par des hommes, pour éviter les accusations de violence sexuelle à leur encontre. Il est effrayant de voir ceux qui ont gagné leur procès, avec « l’aide » de ces membres, se vanter de leur « succès » et être traités comme des « héros » par leurs acolytes. Le mouvement MeToo continue. Nous espérons qu’il ouvrira finalement la discussion pour trouver une solution concrète au niveau sociétal et résoudre la violence sexuelle dans la société coréenne pour un meilleur avenir ».
Dans ses déclarations le président Moo Jae-In soutient le mouvement #MeToo, mais dans les faits il n’y a pas encore eu de mesures concrètes pour améliorer la situation. Des célébrités sont tombées de leur piédestal mais les poursuites judiciaires restent limitées. Pour l’instant, le supérieur désigné par la procureure Ji-Hyun Seo comme son agresseur n’a pas été arrêté.

L’auteure Soo-Jeong Mok
Perspective
Parler du droit des femmes, même après #MeToo est difficile en Corée. Cependant les signes montrent qu’un vrai changement est engagé dans la société coréenne. Seohye décrit parfaitement la situation « Je n’attends pas un changement drastique. Je suis assez sûre que certains abuseurs continueront et que des victimes souffriront et culpabiliseront de ce qui est arrivé. Mais la société coréenne s’est mise à changer. C’est un grand et petit début. Je crois que nous continuerons à nous améliorer. »
A l’université, #MeToo a permis d’ouvrir clairement le débat. Seohye explique : « nous parlons plus d’égalité en général. Si un ou une d’entre nous dit quelque chose sexiste, on le reprend tout de suite, directement. On demande « Quelle est cette façon de penser à l’ancienne ? » Les étudiants sont très sensibles à #Metoo. Ils sont tous toujours favorables aux victimes dans la presse et sur les réseaux ». Son ami Mooghang, étudiant de 25 ans est responsable de l’association de son université. Il montre que le dialogue hommes/ femmes est enclenché : « Au niveau de l’association des étudiants à l’université en Corée, on a organisé des discussions sur le sujet. A mon avis, c’est obligatoire car le mouvement concerne la société universitaire. Il existe aussi des victimes autour de nous. Aujourd’hui, beaucoup de garçons font attention quand ils discutent avec les filles, pour éviter les mots misogynes. Mais, il reste encore quelques garçons qui ne comprennent pas ce mouvement. Il faut qu’on persévère pour changer les choses même si c’est très dur. » « Je voudrais que les hommes puissent mieux considérer les femmes. Elles sont l’égale des hommes et elles peuvent faire tout ce que les hommes font. Girls can do anything. »
Dorénavant les femmes agissent. Soo-Jeong Mok explique : « Dans les lycées et les universités, les filles bougent collectivement. Elles dénoncent par des post-it collés sur la porte des professeurs ceux qui se permettent des gestes déplacés et des abus sexuels ».
Le silence n’a plus sa place.
Par Jemina Boraccino