Minimalisme. Difficile d’échapper à ce courant dans les pages des magazines comme sur les réseaux sociaux. Le mouvement prend de l’ampleur et au-delà du cliché de l’appartement vide aux murs clairs notre question est de savoir si de l’Asie à l’Europe jusqu’au Canada et aux États-Unis les mêmes motivations, les mêmes envies sont à l’origine de ce choix de vie. Nous avons interrogé des minimalistes en France, au Japon, en Corée du sud, aux États-Unis et au Canada. Remise en cause du modèle économique et conscience écologique sont des traits communs.
En surface, devenir minimaliste cela commence par réduire le nombre d’objets que l’on possède pour ne conserver que ce dont on a vraiment besoin dans sa vie quotidienne. Puis, en menant les discussions avec nos cinq minimalistes interviewés, on saisit vite qu’il s’agit aussi et surtout d’une réflexion sur notre mode de vie actuel. Dans ce courant, les possessions matérielles sont reléguées au second plan, au bénéfice d’expériences émotionnellement enrichissantes. Et dans un monde où le quotidien baigne dans un marketing qui pousse toujours plus à la consommation, les minimalistes que nous avons rencontrés, en disant adieu au matérialisme, posent des questions pertinentes à notre société.
Changement de perspective
Être minimaliste n’est pas quelque chose d’inné dans les pays industrialisés où la surconsommation est un leitmotiv. Alors quel est le déclic ? Comment devient-on minimaliste ? Pour toutes les personnes que nous avons interrogées, c’est face à un tournant de leur vie, face à des difficultés qu’elles ont opté pour ce changement radical. Quelque chose ne cadrait pas entre un modèle de vie communément admis et leur ressenti. Une remise en cause de leur quotidien s’est progressivement imposée. Du Japon à la Corée du sud, jusqu’à la France ou encore au Canada, tous ont décrit ce même cheminement. Fumio Sasaki, dont le livre « Au revoir les choses », traduit en 19 langues est un best-seller au Japon comme aux États-Unis, raconte : « Avec le recul, à 34 ans quand j’ai découvert le minimalisme, je vivais une sorte de dépression, j’étais devenu anxieux au sujet de ma carrière et du futur. J’étais arrivé à une époque où je devais réfléchir profondément aux valeurs que j’avais ». A l’époque, Fumio Sasaki est un collectionneur invétéré de CD, DVD, livres et objets. Le mauvais temps qui l’empêche de travailler en Croatie alors qu’il prépare un livre de photo, en 2013, lui permet de rencontrer le minimalisme : « j’étais coincé sur une île, dans un vieil hôtel, sans rien. Un collègue photographe est arrivé et a dit « nous sommes comme des minimalistes ». C’était la première fois que j’entendais ce mot, j’ai cherché sa signification et j’ai découvert Andrew Hyde qui ne possédait que 15 objets à cette époque. Je vivais dans une pièce qui débordait d’objets. Au début, j’ai commencé à me séparer de certains biens car j’avais envie de tester le même sentiment de liberté que lui. »
L’histoire de Vicky interpelle elle aussi. La jeune femme canadienne a aujourd’hui 24 ans et est passée d’une vie où elle consacrait son temps libre au shopping à celle d’une minimaliste. Elle explique : « J’étais une étudiante, travaillant au salaire minimum, qui en était à sa première année en appartement à couvrir toutes mes dépenses. J’avais accumulé 10 000 $ de dettes sur ma marge de crédit étudiante, et je savais que je continuais à m’endetter toujours plus. J’adorais la mode, et je dépensais une grande partie de mon salaire en vêtements, chaussures, restaurants, etc. Mais c’est vraiment lorsque j’ai atteint le seuil de 10 000 $ de dettes que tout a changé. Je cherchais sur Pinterest des trucs pour comment économiser, et je suis tombée sur des articles parlant de minimalisme, et tout ça a fait beaucoup de sens pour moi. Je me suis mise à dévorer tous les articles anglophones sur le sujet, et cela a été une révélation. Depuis, je n’ai pas arrêté d’appliquer ces principes du minimalisme dans ma vie. » En France si Moe, quant à elle, s’est toujours sentie plus ou moins minimaliste car, comme elle nous le confie, elle a toujours aimé voyager, déménager et trier ses affaires, c’est à la naissance de son enfant que le minimalisme est devenu un choix de vie : « Je me suis rendu compte qu’avec un bébé, je n’avais plus de temps pour moi, ma maison était envahie d’objets de puériculture, et c’était le chaos dans ma tête. Je n’allais pas vivre comme ça toute ma vie. Ce n’était pas l’idée de départ quand j’ai décidé d’être maman. » Elle découvre le minimalisme grâce à une émission de télévision, YouRope, sur Arte : « On y voyait un jeune garçon qui affirmait vivre avec une cinquantaine d’objets. Cette liberté lui permettait de voyager et de vivre sans argent. L’idée était géniale ! Une heure après je faisais un gros tri dans mes affaires. Puis je suis tombée par hasard sur le livre de Marie Kondo. Ça a été le déclic. J’ai ensuite créé mon blog – La cabane de Moe – sur le sujet et depuis, le virus ne m’a plus jamais quitté. »

© Jemina Boraccino
Se libérer du matériel leur a permis de vivre une vie plus simple et plus libre, de sortir d’un modèle conformiste dans lequel ils ne se retrouvent pas. Hyung-jung porte un regard critique sur sa vie à Séoul qu’elle qualifie de prison : « Quand je rentrais du travail, je passais ma soirée à m’occuper des tâches domestiques, il fallait tout nettoyer. J’étais épuisée et déprimée. Aujourd’hui comme je ne possède presque plus rien, je n’ai plus rien à laver ou à ranger et le soir, je lis et je discute avec mes enfants. J’ai redéfini mes priorités. Avant je voulais acheter tous ce que mes amis possédaient pour me sentir bien et montrer que j’avais réussi socialement. L’apparence d’une réussite sociale et matérielle est très importante en Corée du sud mais tout ça n’a plus d’importance. »
Moe est très clair dans ses propos quand elle explique ce que lui a apporté le minimalisme. Elle n’y va pas par quatre chemins : « Grâce au minimalisme, j’ai réussi à me retrouver. Le bazar régnait dans ma maison, mon organisation, ma vie professionnelle. Grâce au minimalisme, j’ai réussi à simplifier tout cela et maintenant, j’ai du temps libre pour profiter de la vie. Je suis mieux organisée, je dépense moins et donc j’ai plus de temps et d’argent pour des choses qui me paraissent essentielles. J’ai réussi aussi à me concentrer sur des projets et à les réaliser, alors qu’avant, j’étais plutôt du genre à avoir mille idées qui n’aboutissaient jamais à rien. » Chez Fumio sasaki, on sent un grand soulagement quand il affirme : « J’ai réalisé, « la vie est simple ! » elle ne coûte pas très cher si on se moque d’où on vit et dans combien de mètres carrés. Je n’ai pas besoin d’occuper un emploi qui ne me plait pas sur le long terme pour gagner de l’argent. Je ne pense plus que c’est difficile et compliqué de vivre. »
Une conscience écologique
Cette remise en cause du tout matériel, de la société de consommation s’accompagne d’un besoin d’agir devant un bilan écologique qui s’aggrave chaque jour pour notre planète. Le minimalisme devient un moyen d’action au quotidien. Moe explique son ressenti : « On produit le plus possible de choses inutiles. Pour pouvoir se les acheter, on travaille le plus possible. Et la course à l’achat ne rend pas heureux, car on manque toujours de quelque chose. Au final, ces choses inutiles sont plus faciles à jeter à la poubelle et à racheter plutôt qu’à réparer. » « (…) Et mon souhait est de contribuer à changer les choses, à ajouter plus de bon sens. Je suis un peu dans le genre « décroissant ». » Stéphanie vit à Boston. Elle va exactement dans le même sens : « Pour moi, une conséquence naturelle du minimalisme est un bon et difficile regard sur notre création collective de déchets. Le minimalisme m’a forcé à regarder à la fois mes habitudes de consommateur et les habitudes de la société dans son ensemble. Je trouve les Américains incroyablement producteurs de déchets. Nous utilisons tout jetable : tasses à café jetables. Brosses à dents jetables. Serviettes jetables, tout, au nom de la commodité. Nous sommes devenus une culture d’articles à usage unique. J’ai trouvé que le minimalisme et la durabilité vont de pair, car minimiser les «choses» devrait aussi signifier minimiser notre impact négatif sur la planète. En tant que tel, je travaille pour un style de vie zéro déchet pour ma famille. En fait, j’ai créé mon blog et mon podcast pour parler de ça ! »

© Jemina Boraccino
Le minimalisme apparaît comme une réflexion sur le bonheur et abouti à un refus de la surconsommation et à un engagement éco responsable. Le concept de « simplicité volontaire » c’est à dire réduire volontairement sa consommation pour diminuer l’impact qu’elle peut avoir sur l’environnement, est régulièrement revenu dans les témoignages que nous avons recueillis. Être minimaliste ce n’est pas simplement vivre avec trois T-shirt dans un appartement à la décoration épurée, c’est aussi développer une conscience écologique qui s’inscrit dans un quotidien. A partir d’une quête personnelle de bien-être, les minimalistes agissent finalement pour le bien de la planète dans son ensemble. Ainsi, Vicky explique : « j’ai appris à utiliser ce que j’ai déjà, réutiliser, fabriquer de mes propres mains des produits nettoyants pour la maison, faire des activités gratuites ou très peu dispendieuses, faire plus d’activités de plein air plutôt que de dépenses dans les centre d’achats, passer des soirées à lire des livres de la bibliothèque plutôt que de magasiner ou écouter la télé. » Hyung-jung espère un jour arriver au zéro déchet : « Quand j’ai voulu devenir minimaliste, j’ai commencé par trier mes affaires et j’ai jeté beaucoup de choses. Je ne savais pas m’y prendre à l’époque et je regrette car certaines choses que j’ai abandonnées aurait pu servir à quelqu’un. Maintenant, je fais très attention à tous mes achats et j’essaye aussi de recycler, donner et réparer au maximum »
L’avenir au minimalisme ?
On le comprend très bien, le mode de vie minimaliste ne deviendra pas la norme demain. Le poids du marketing et de la consommation de masse freine tout virage à 180°. Cependant la voix du minimalisme gagne en audience. Plus de 500 000 personnes suivent la page facebook The Minimalists des américains Joshua Fields Millburn et Ryan Nicodemus. En Corée du sud, l’espace de discussion consacrée à la vie minimaliste sur Naver compte près de 200 000 membres. Aujourd’hui, les gens réfléchissent de plus en plus de à leur façon de consommer et comme le précise Vicky : «(…) le minimalisme, la simplicité volontaire et le zéro déchet deviennent de plus en plus connus et les gens commencent à faire de petits changements dans leur vie pour qu’elle soit meilleure pour eux et pour l’environnement.
Moe explique : « les mentalités sont trop ancrées dans le consumérisme. Notre société est basée sur le consumérisme. Quand on parle de la santé d’un pays, on parle de croissance, de PIB, donc le bonheur se résume au nombre de produits qu’on arrive à vendre. Mais beaucoup de personnes, heureusement, en reviennent. Mes amis tendent vers le minimalisme aussi. Car ils sont informés et car ils s’informent. » Pour Stéphanie, aux États-Unis : « La culture américaine accorde une grande importance aux réalisations individuelles. L’achat de «trucs» est le moyen par lequel nous montrons et affichons nos réalisations personnelles. Cela dit, je crois que, à mesure que le mouvement minimaliste prendra de l’ampleur, de plus en plus de gens vont sauter du train en marche axé sur la consommation. »
Le cheminement pour tendre vers le minimalisme est long et progressif et bien sûr, ne peut pas convenir à tout le monde. Pourtant, peut-être bien que nous n’aurons bientôt plus le choix et que nous devrons tous revoir notre façon de consommer. Par la force des choses. Comme le rappelle Fumio Sasaki : « Selon l’empreinte écologique que le WWF (World Wildlife Fund) rapporte, si les gens dans le monde entier vivaient le même style de vie que les Japonais, environ 2,9 Terres sont nécessaires pour survivre (3 Terres dans le cas de la France). Nous n’avons pas besoin d’aller à l’extrême et que tout le monde suive le mode de vie minimaliste mais je veux vivre pour qu’une seule Terre soit suffisante. »
L’avenir nous dira vite ce qu’il réserve à notre planète. En attendant, voir ces hommes et ces femmes minimalistes d’horizons sociaux différents, installés aux quatre coins du monde se retrouver derrière ce même mode de vie donne matière à réflexion et une vraie bouffée d’air frais dans le dédale du « achetez plus, achetez le dernier, achetez le nouveau. »
Merci à :
Fumio Sasaki – Minimal & ism
Moe – La cabane de Moe
Vicky Payeur – Vivre Avec Moins
Hyung-jung
http://cafe.naver.com/simpleliving
Stephanie – Mama Minimalist
Rédaction et photos : Jemina Boraccino

© Jemina Boraccino